Christmas est peut-être le film le plus élégant d'Abel
Ferrara. Il se déroule évidemment à New York, ville
fétiche de Ferrara (tout le monde se souvient de l'incroyable Bad
lieutenant ou de son premier film, le dérangeant Driller killer).
Le film suit les déboires d'un couple de dealers latinos la nuit
de Noël.
La flamboyante Drea de Matteo (l'une des héroïnes de la
fameuse série télévisée de David Chase, Les
Sopranos) interprète avec beaucoup de conviction l'épouse
(Ferrara ne lui a même pas donné de prénom), tandis
que l'excellent Lilli Brancato Jr campe le mari (sans nom également).
Ils sont parents d'une adorable petite fille, Lisa et vivent au sein de
la communauté latino de New York.
Christmas se présente sous la forme d'un conte de Noël.
D'ailleurs, son titre original est R-Xmas, le R pouvant signifier our,
c'est-à-dire notre Noël. A la suite d'une sorte de guerre
des gangs entre latinos et noirs, le mari se fait kidnapper par une bande
de noirs, dont le chef est interprété remarquablement par
le rappeur Ice T. Le spectateur va alors suivre durant toute la veille
de Noël les démarches de la femme (Drea) afin de récupérer
son mari. Abel Ferrara n'a pas son pareil pour filmer les rues de New
York et les différents groupes ethniques qui s'y croisent (il suffit
de se reporter aux précédents films de Ferrara, tels China
girl ou The king of New York). Il montre sans la moindre concession le
quotidien d'un couple de dealers, qui tente de marier business et vie
de famille, sous les yeux même de la famille (ou plutôt la
familia) qui accepte cette situation, voire qui les aide à dealer.
Le ton quasi-documentaire de Ferrara ancre le film dans la plus banale
des réalités quotidiennes, sans jugement ni mépris.
D'ailleurs, toutes les scènes exposant le partage et la distribution
de la drogue frappent par leur réalisme, sans la moindre notion
de spectaculaire : Ferrara nous montre bien qu'il s'agit d'un véritable
travail, au même titre que des emplois qu'on pourrait trouver plus
respectables. Le film est tout en mouvement : il débute dans les
quartiers chics de New York, où le spectateur suit les pérégrinations
du couple à la recherche d'un cadeau pour leur fille. La ville
brille de mille feux, illuminée par les clignotements des lumières
de Noël. Christmas est à l'image de ces scintillements : c'est
un film tout en glissements, en fondus, en clignotements, des lumières
des quartiers chics à celles des ghettos, il paraît vivre
de lui-même.
Le récit lui-même semble inachevé, troué :
il est aussi mouvant que les incessants trajets qu'effectue la femme (Drea).
Cette intermittence du récit est encore accentué par l'entourage
urbain : les lueurs de la ville, la pluie, les phares des voitures, les
rétroviseurs ; tous ces éléments faisant littéralement
clignoter le film, suprême élégance de la part de
Ferrara, dont l'image cette fois-ci semble moins brouillonne.
On peut par exemple citer toutes les scènes où Drea de Matteo
fait le trajet entre les quartiers chics et Harlem et où on voit
New York se refléter entièrement sur les parois de sa voiture,
à l'instar du beau clip que Ferrara a tourné pour la chanson
California de Mylène Farmer, renforçant encore l'aspect
clignotant du film. Les yeux étincelants de Drea ressortent alors
davantage et le spectateur peut ressentir toute sa détermination.
Au gré des trajets, les comptines musicales de Noël sont remplacées
au fur et à mesure par les rythmes de hip-hop provenant du ghetto.
Ferrara montre le contraste énorme qu'il existe entre Harlem et
les quartiers riches. Christmas se base sur le conflit entre les latinos
et les blacks pour la distribution de la drogue et les limites des terrains.
Le personnage d'Ice T, le chef des kidnappeurs (Ferrara nous révèlera
plus tard qu'il s'agit d'un flic corrompu), semble répondre au
personnage d'Harvey Keitel dans l'hallucinant Bad lieutenant, du même
Ferrara. Le couple improbable qu'il forme avec la blonde Drea de Matteo
est l'un des plus intrigeant qui soit, Ice T cherchant uniquement à
la convaincre d'abandonner le trafic et la distribution de drogue, ainsi
que son mari. Ice T lui fait d'ailleurs jurer cette invraisemblable condition
et libère alors le mari. Ferrara en fait un personnage ambigu,
cherchant visiblement une sorte de rédemption. Il apparaît
dans le film tel un ange rédempteur et disparaît aussi mystérieusement
qu'il est apparu.
En outre, si la femme (Drea) lui fait cette promesse, mais le spectateur
ne sait absolument pas si elle va la tenir ou non. Après la libération
du mari, la famille semble recomposée. On peut notamment citer
la scène où Lisa, la petite fille du couple, lui apporte
le petit déjeuner au lit. Le spectateur sait cependant que le couple
continuera probablement de dealer. Comme elle le dit elle-même,
la femme aime trop le confort et le luxe, la BMW et l'appartement splendide,
leur niveau de vie. Si, au début du film, elle n'a pas encore conscience
de ce qu'elle fait avec son mari, le contact du personnage d'Ice T lui
aura au moins appris quelque chose : la vente de la drogue est dangereuse
et sale. Seulement, est-elle prête à sacrifier son niveau
de vie pour tenir cette promesse ? Rien n'est moins sûr. Le spectateur
apprendra, par le biais des informations télévisées
qu'Ice T était un policier corrompu qui s'est finalement fait appréhender
par la police. La femme jette un regard, semble troublée puis replonge
dans l'existence qu'elle a toujours menée, comme si rien ne s'était
passé.
Christmas est l'un des meilleurs films d'Abel Ferrara. Il plonge le
spectateur au cur d'une réalité sordide qui se cache
sous l'apparat du luxe et interroge le spectateur, par le biais du personnage
d'Ice T, sur la notion de bien et de mal. Film d'une suprême élégance,
dont le récit semble troué de toute part et totalement imprévisible
quant à la suite des évènements, tout en mouvements
et en clignotements, Christmas est l'un des films les plus achevés
de son auteur, dont la poésie urbaine et les aspérités
du récit ressortent à chaque nouvelle vision.
Par Loïc, septembre 2003
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