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Christmas d'Abel Ferrara, 2001
Film américain
Acteurs principaux : Drea De Matteo, Lillo Brancato Junior, Ice-T
Musique de Schoolly D

 

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Christmas est peut-être le film le plus élégant d'Abel Ferrara. Il se déroule évidemment à New York, ville fétiche de Ferrara (tout le monde se souvient de l'incroyable Bad lieutenant ou de son premier film, le dérangeant Driller killer). Le film suit les déboires d'un couple de dealers latinos la nuit de Noël.

La flamboyante Drea de Matteo (l'une des héroïnes de la fameuse série télévisée de David Chase, Les Sopranos) interprète avec beaucoup de conviction l'épouse (Ferrara ne lui a même pas donné de prénom), tandis que l'excellent Lilli Brancato Jr campe le mari (sans nom également). Ils sont parents d'une adorable petite fille, Lisa et vivent au sein de la communauté latino de New York.

Christmas se présente sous la forme d'un conte de Noël. D'ailleurs, son titre original est R-Xmas, le R pouvant signifier our, c'est-à-dire notre Noël. A la suite d'une sorte de guerre des gangs entre latinos et noirs, le mari se fait kidnapper par une bande de noirs, dont le chef est interprété remarquablement par le rappeur Ice T. Le spectateur va alors suivre durant toute la veille de Noël les démarches de la femme (Drea) afin de récupérer son mari. Abel Ferrara n'a pas son pareil pour filmer les rues de New York et les différents groupes ethniques qui s'y croisent (il suffit de se reporter aux précédents films de Ferrara, tels China girl ou The king of New York). Il montre sans la moindre concession le quotidien d'un couple de dealers, qui tente de marier business et vie de famille, sous les yeux même de la famille (ou plutôt la familia) qui accepte cette situation, voire qui les aide à dealer. Le ton quasi-documentaire de Ferrara ancre le film dans la plus banale des réalités quotidiennes, sans jugement ni mépris.

D'ailleurs, toutes les scènes exposant le partage et la distribution de la drogue frappent par leur réalisme, sans la moindre notion de spectaculaire : Ferrara nous montre bien qu'il s'agit d'un véritable travail, au même titre que des emplois qu'on pourrait trouver plus respectables. Le film est tout en mouvement : il débute dans les quartiers chics de New York, où le spectateur suit les pérégrinations du couple à la recherche d'un cadeau pour leur fille. La ville brille de mille feux, illuminée par les clignotements des lumières de Noël. Christmas est à l'image de ces scintillements : c'est un film tout en glissements, en fondus, en clignotements, des lumières des quartiers chics à celles des ghettos, il paraît vivre de lui-même.

Le récit lui-même semble inachevé, troué : il est aussi mouvant que les incessants trajets qu'effectue la femme (Drea). Cette intermittence du récit est encore accentué par l'entourage urbain : les lueurs de la ville, la pluie, les phares des voitures, les rétroviseurs ; tous ces éléments faisant littéralement clignoter le film, suprême élégance de la part de Ferrara, dont l'image cette fois-ci semble moins brouillonne.

On peut par exemple citer toutes les scènes où Drea de Matteo fait le trajet entre les quartiers chics et Harlem et où on voit New York se refléter entièrement sur les parois de sa voiture, à l'instar du beau clip que Ferrara a tourné pour la chanson California de Mylène Farmer, renforçant encore l'aspect clignotant du film. Les yeux étincelants de Drea ressortent alors davantage et le spectateur peut ressentir toute sa détermination. Au gré des trajets, les comptines musicales de Noël sont remplacées au fur et à mesure par les rythmes de hip-hop provenant du ghetto. Ferrara montre le contraste énorme qu'il existe entre Harlem et les quartiers riches. Christmas se base sur le conflit entre les latinos et les blacks pour la distribution de la drogue et les limites des terrains. Le personnage d'Ice T, le chef des kidnappeurs (Ferrara nous révèlera plus tard qu'il s'agit d'un flic corrompu), semble répondre au personnage d'Harvey Keitel dans l'hallucinant Bad lieutenant, du même Ferrara. Le couple improbable qu'il forme avec la blonde Drea de Matteo est l'un des plus intrigeant qui soit, Ice T cherchant uniquement à la convaincre d'abandonner le trafic et la distribution de drogue, ainsi que son mari. Ice T lui fait d'ailleurs jurer cette invraisemblable condition et libère alors le mari. Ferrara en fait un personnage ambigu, cherchant visiblement une sorte de rédemption. Il apparaît dans le film tel un ange rédempteur et disparaît aussi mystérieusement qu'il est apparu.

En outre, si la femme (Drea) lui fait cette promesse, mais le spectateur ne sait absolument pas si elle va la tenir ou non. Après la libération du mari, la famille semble recomposée. On peut notamment citer la scène où Lisa, la petite fille du couple, lui apporte le petit déjeuner au lit. Le spectateur sait cependant que le couple continuera probablement de dealer. Comme elle le dit elle-même, la femme aime trop le confort et le luxe, la BMW et l'appartement splendide, leur niveau de vie. Si, au début du film, elle n'a pas encore conscience de ce qu'elle fait avec son mari, le contact du personnage d'Ice T lui aura au moins appris quelque chose : la vente de la drogue est dangereuse et sale. Seulement, est-elle prête à sacrifier son niveau de vie pour tenir cette promesse ? Rien n'est moins sûr. Le spectateur apprendra, par le biais des informations télévisées qu'Ice T était un policier corrompu qui s'est finalement fait appréhender par la police. La femme jette un regard, semble troublée puis replonge dans l'existence qu'elle a toujours menée, comme si rien ne s'était passé.

Christmas est l'un des meilleurs films d'Abel Ferrara. Il plonge le spectateur au cœur d'une réalité sordide qui se cache sous l'apparat du luxe et interroge le spectateur, par le biais du personnage d'Ice T, sur la notion de bien et de mal. Film d'une suprême élégance, dont le récit semble troué de toute part et totalement imprévisible quant à la suite des évènements, tout en mouvements et en clignotements, Christmas est l'un des films les plus achevés de son auteur, dont la poésie urbaine et les aspérités du récit ressortent à chaque nouvelle vision.

Par Loïc, septembre 2003

 

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