Ce film nous conte l'histoire de Fred et Renée Madison, un couple apparemment
sans histoire dont on aperçoit rapidement l'érosion des sentiments et
la distance qui semble les séparer.
Leur vie va être troublée par des cassettes vidéo anonymes montrant l'intérieur
de leur maison. Un jour, Fred découvre sa femme morte et est accusé de
son meurtre.
Lynch, comme à son habitude, se plait à mélanger les genres et à perdre
le spectateur par l'absence de linéarité de la narration.
Pour ce qui est des genres visités dans Lost highway, il y a d'abord le
film noir avec ses magnifiques jeux d'ombre et de lumière, son ambiance
pesante et ses personnages si caractéristiques : la femme fatale, la blonde
vénéneuse et manipulatrice, le mafieux, les policiers. Tout est là, sauf
l'intrigue car Lost highway repose avant tout sur un triangle amoureux
: le mari - la femme - l'amant (réel ou supposé).
Autre genre emprunté par Lynch : le fantastique avec toutes ses bizarres
affetteries, en tête desquelles il faut citer la " transformation " de
Fred en Peter Dayton pendant sa détention. Cet élément majeur permet à
Lynch d'infléchir le cœur de son histoire dans une direction jusqu'alors
insoupçonnée : Pete est mécanicien, jeune, vit encore chez ses parents
et a une petite amie nommée Sheyla. Il est également le protégé de Mr
Eddy (Dick Laurent), un homme aux activités plus que troubles.
Le problème est que Pete va avoir une relation avec la petite amie de
celui-ci, Alice, qui est le parfait négatif de Renée.
Patricia Arquette excelle dans la composition de ces deux rôles antinomiques
: effacée et presque femme enfant dans la peau de la brune Renée, elle
est radieuse et vénéneuse quand elle incarne la blonde Alice, dominatrice
et manipulatrice. Fred est lui-même le parfait opposé de Pete. Fred est
lui-même effacé, en proie au doute, presque résigné devant l'échec de
son couple et vit une sexualité insatisfaisante avec sa femme (voir la
scène où Renée rassure Fred de la parole et du geste, après l'amour, comme
on le ferait d'un enfant alors que celui-ci a le regard vide et perdu).
Pete est jeune, séducteur et a une sexualité épanouie. Tant dans l'histoire
que dans les personnages, Lost highway s'avère être un hommage vibrant
à Vertigo d'Alfred Hitchcock dont il possède la structure si particulière
: une narration qui semble s'inverser et se recouper sans cesse comme
une spirale.
Dans Lost highway, outre les personnages, notamment Renée/Alice, on peut
observer de nombreuses situations identiques : la conversation téléphonique
qui se déroule de la même manière pour Pete que pour Fred (au cours de
la soirée chez Andy). De nombreux éléments de décors sont également présents
dans l'histoire de l'un et l'autre, y compris cette esthétique propre
à Lynch : au clair/obscur où l'ombre est un passage, une ouverture, des
rideaux rouges brouillant la vue ou la pensée et cachant de terribles
réalités. Fred prononce une phrase clé, nécessaire à la " compréhension
" du film (bien que celle-ci ne soit ni nécessaire, ni même définitive
tant les interprétations peuvent être nombreuses) : " j'aime garder mon
propre souvenir des choses, pas nécessairement ce qui est arrivé. " Cela
ne fait qu'affirmer que Lost highway est conçu comme un trompe l'œil,
car le véritable enjeu du film est bien la confrontation du fantasme à
la réalité car tout est vu du point de vue de Fred dont le doute sur la
fidélité de sa femme l'entraîne vers la jalousie, puis la paranoïa à tendance
schizophrénique.
L'homme-mystère symbolise la pathologie mentale de Fred (Pete), et est
en quelque sorte le subconscient morcelé de Fred.
Mais si Fred semble vouloir garder son propre souvenir des choses, il
semble se perdre dans ses rêves et ses fantasmes, comme en témoigne la
scène où il raconte son rêve à Renée : on le voit errer dans l'appartement
puis confondre le visage de sa femme avec un autre. Fred n'aime pas les
caméras, on le voit même fuir l'homme-mystère brandissant une caméra comme
un objet menaçant. Cela n'est-il pas dû au fait que Fred refuse la réalité
(capturée par la caméra) et qu'il la fuit, préférant son univers fantasmatique
?
On a une autre illustration de ce phénomène où le fantasme se mêle/s'oppose
à la réalité dans la scène où Pete (Fred) et Alice (Renée) tuent Andy
chez lui pour le voler = Dans le salon est projeté un film porno où Pete
reconnaît avec stupeur Alice. N'est-ce pas là la projection de ses propres
fantasmes plutôt que la réalité ? Cette ambiguïté constante au cours du
film permet à Lynch d'asseoir une ambiance lourde et opressante teintée
de fantastique.
Lost highway, film purement visuel et ambiant, repose également sur une
bande-son très travaillée où les moindres faits et gestes sont amplifiés,
fumer une cigarette, haleter pendant un rapport sexuel au point de prendre
une tournure onirique.
La musique, omniprésente et très variée, rythme habilement le film au
gré de ses diverses ambiances.
Par Laurent, octobre 2003
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